R[hOMe]ANIA 1 (1991 – 2002)
111 photographies (tirages argentiques) en noir et blanc / mémoire partielle de 12 ans de séjours en Roumanie (1991-2002)
58 photographies empruntées à Gheorghe Gheorghiu, Bucarest – juillet 2002 / mémoire partielle d’une vie en Roumanie (1948-2002)
456 documents imprimés et photographiques / mémoire partielle d’un siècle en Roumanie
2320 épingles.
Forme plastique en perpétuel devenir, R(hOMe)ANIA 1 peut s’apparenter au Mnémosyne de l’historien d’art Aby Warburg.
L’installation fonctionne par résonances, sorte d’atlas d’images qui par leur simple mise en correspondance suggère l’absurdité d’une lecture univoque d’un pays. Quel rapport existe t-il entre la grande et la petite histoire, l’intime et la référence, entre mes photographies et celles empruntées aux souvenirs d’un homme, entre une carte postale des années 70 et un ticket de rationnement alimentaire ? Qu’est ce qui fait qu’une image survive et devienne trace d’une culture ?
1.
26 novembre 1991 – 32 ème jour
Hôtel Ambassador – Bucuresti
17h30 – Retour d’une énième manifestation où avec Thomas nous avons filmé quelques séquences. Il fait de plus en plus froid, de plus en plus sombre Je viens de regagner ma chambre après un détour chez le garagiste où notre véhicule est toujours en attente d’une possible réparation, les jours passent et rien ne semble vouloir se définir.
Ce matin, accoudé à la réception il y avait encore cet homme. Comme hier, il semblait attendre quelqu’un. Dans sa main droite, il tenait un chapelet dont il égrenait lentement les perles une à une. Une fois encore, il m’a observé fixement.
H. a téléphoné vers 20h pour me proposer autre chose qu’une nuit à l’hôtel Ambassador.
H. m’a laissé une adresse : Strada Atena 2, sector 1, dernier étage. J’ai répondu que je viendrais.
Pris un taxi vers 22h30.
Voyage 2 – 26 octobre–3 décembre 1991
2.
Le taxi s’est arrêté entre deux ambassades dans le seul quartier résidentiel de Bucarest préservé du « grand sabotage ».
Strada Atena 2 : un bâtiment massif années 30 comportant un entresol habité, surplombé par trois étages et des combles, l’ensemble dans l’état où les années de dictature l’ont laissé. L’entrée principale sur rue est condamnée, je contourne le bâtiment par la droite comme H. me l’a indiqué et je trouve un passage qui conduit à un escalier de service dont la rampe métallique bat la mesure à chacun de mes pas. Au dernier étage, je suis face à une petite porte très basse coiffée d’un fer à cheval. Je frappe.
Sous les toits mansardés, une cuisine équipée d’une baignoire et une chambre, deux pièces minuscules et suffocantes. Un trop-plein d’objets d’arts et de matériel éclectique, un bric à brac étrange où tout s’enchevêtre jusqu’à la confusion, une accumulation de « choses » précieuses, aléatoires, anecdotiques ou incertaines de toutes provenances et de toutes époques confondues. Des bibliothèques chargées de livres et des murs où se côtoient aussi bien des icônes que des posters de stars américaines des années 70, des tableaux, des photographies, des vitraux et des compositions faites d’assemblages hétéroclites. Peu d’espace pour se mouvoir et un lit sommaire à une place.
C’est la troisième fois que je vois H. J’ai vite la certitude que cet univers ne lui appartient pas.
Qui est le maître des lieux ? Nous ne sommes pas ici pour en parler.
A 6h du matin une clef tourne doucement dans la serrure.
Des pas dans la cuisine juste derrière le rideau qui nous en sépare et que H. à prit soin de tirer.
Elle dort à mes côtés, je ne bouge pas et retiens mon souffle, nu sous les draps et la peur au ventre.
Le rideau se lève
3.
Les voyages se sont succédés comme les perles du chapelet que faisait glisser entre ses doigts Gheorghe Gheorghiu accoudé à la réception de l’hôtel Ambassador : 1992, 1993, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2002. A chacun de mes passages, j’ai vécu les transformations apportées à cet “autre monde” du dernier étage de la Strada Atena 2. Un univers fait de personnes et d’objets en transit, de fictions et d’illusions fugitives, de démesure et de légèreté, de signes et de non-sens, de fantaisie acide, d’absences et d’alcool, de situations inexplicables ponctuées par les incessants allers et venus de visiteurs imprévisibles. Un monde qui n’a jamais était figé par une échelle de valeur définie et immuable et où chaque élément qui le compose trouve sa place, brève et aléatoire, à un instant T et pour cet instant T. Un monde de l’instant dans lequel vouloir anticiper est vain, inutile.
Ce portrait de Gheorghe Gheorghiu adolescent en costume de marin, je l’ai toujours vu là, punaisé quelque part dans cette chambre. A l’air libre ; vulnérable sentinelle de l’univers du dernier étage de la Strada Atena 2, cette photographie est devenue pour moi au fil des années la figure emblématique de ce lieu. Sa place, comme il se doit, a changé à plusieurs reprises au gré des départs et des arrivées à l’intérieur de ce singulier microcosme. Le temps, comme il le fait si bien, ne l’a pas épargnée.
Innocence, tragédie, traversées, …
12 ans, dix voyages.
Fragments de mémoire que l’on fait circuler d’une frontière à une autre, fragiles comme des papillons.
Poussières confidentielles ou publiques.
Visions troubles et accidentées par des milliers de kilomètres sur des routes improbables.
Confusion, fatigue, désordre, troubles, …
Mémoire empruntée, mémoire personnelle, mémoire collective ou industrielle, mémoire d’inconnus que l’on troque, que l’on achète, que l’on déplace, que l’on transforme ou que l’on use jusqu’à sa dissolution définitive et irrévocable, enfin.
Relativité tout court et relativité des images
* R(hOMe)ANIA nécessite 4 à 5 jours de montage et la présence de Gheorgue Gheorghiu, citoyen roumain. Elément vivant, il intègre l’ensemble, l’habite au quotidien, en fait sa demeure passagère, de jour comme de nuit. Il est un étranger en transit, un “rapport possible” au visiteur dans un contexte et un temps forcement délimité.
EXPOSITIONS >
Oblik, Clichy (extraits de la série présentée dans l’exposition collective « Les uns, désirés » initiée par le peintre Stéphane Fromm) – mai 2014
Le pavillon jaune, Paris – novembre 2002